CHINE / Préambule pour la liberté

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Une semaine depuis que les attentats de Paris ont eu lieu.
5 jours que je suis en Chine.

Ces 5 jours m’ont parus surréalistes, passés à naviguer entre les bribes d’infos/intox à propos de Daesh sur Yahoo.fr, les jours de marché dans les rues pittoresques de la campagne chinoise et mon PowerPoint – car oui, je suis partie avec un audit web sur le dos en plus d’un sac de 40L. Autant dire que respirer n’a pas été une priorité. En réalité, ce premier billet est censé parler de la Chine mais il va nous ramener à Paris : je ne peux pas ignorer ce que je vois d’aussi loin, par la petite lucarne du web – cette toute petite lucarne – car ce que je vois m’effraie. Si vous ne voulez plus entendre parler des événements du 13, si ce que vous cherchiez, c’était l’odeur du thé, le goût du tofu et les couleurs de l’Empire du Milieu, attendez le prochain billet, s’il-vous-plaît. Car je vais bien parler un peu de la Chine, mais pas comme ça.

Je suis partie triste et atterrée par les événements du 13 novembre. La minute de silence, je l’ai faite à l’aéroport d’Amsterdam, 5 minutes avant d’embarquer pour Canton. Je ne vous cacherai pas que faire comprendre à des milliers de passagers venus du monde entier, qui ne parlent pas toujours un anglais parfait, qu’à midi, il faudrait se taire pendant une minute par respect pour les victimes des attaques à Paris trois jours plus tôt, c’était déjà peine perdue avant même d’avoir essayé. Mais bon, merci quand même. La tristesse, je l’ai emportée.

Une semaine plus tard depuis la Chine, je lis que l’état d’urgence a été prolongé. Que la marche citoyenne pour la COP21 est officiellement annulée et, comme le soulignent bien quelques engagés, que le marché de Noël des Champs-Elysées, lui, est maintenu. C’est pour notre sécurité, qu’ils disent. Deux quartiers sont déjà sous couvre-feu. Vous trouvez ça normal, vous, qu’en France, toute circulation dans un quartier entier soit interdite la nuit – ne serait-ce que par principe ? Mais c’est pour notre sécurité, qu’ils disent. Est-ce que vous trouvez ça normal, qu’en vertu de l’état d’urgence, on puisse contrôler n’importe qui, n’importe quand, perquisitionner avec beaucoup plus de facilité, s’introduire dans les données personnelles des gens, les assigner à résidence et j’en passe, tout cela au nom de notre sécurité ? Je ne parle même pas des abus policiers, des persuisitions abusives et des dérapages qu’on recense déjà depuis quelques jours (ils ont toujours existé, maintenant ils sont multipliés et légaux). De quelle sécurité parle t-on ? Va t-elle empêcher que nous perdions encore des rires, des chants, des blagues drôles et des pas drôles, des sourires et des vies ? Des vies françaises, marocaines, libanaises, maliennes ou syriennes ? C’est comme ça que l’état policier finira rapidement et sûrement par l’emporter sur notre liberté.

Ceci n’est pas un énième article pour signaler ou s’insurger contre les abus policiers qu’on lit partout dans la presse en ce moment. C’est un retour d’expérience, sur ce que ça fait, ne serait-ce que de passer d’un état « libre » à un état « liberticide » en moins de 17h d’avion.  La Chine est un état liberticide – breaking news ! – et ce, malgré ou devrais-je dire « au nom de », tous ses vrais-semblants de pays capitaliste ultra-libéral, étouffé d’usines et de centres commerciaux, ivre d’une population qui paraît obsédée par l’argent. N’importe quel observateur occidental avisé le confirmera.

3 indices pour reconnaître un état liberticide :

1 – L’accès à Internet est contrôlé.

Pour pouvoir poster ce billet sur mon blog, consulter mes mails et faire une recherche Google, j’ai dû contourner la règle n°1 d’Internet en Chine, à savoir que qui veut, n’accède pour autant pas à n’importe quel site internet. Le gouvernement chinois se réserve le droit de refuser l’accès de n’importe quel site à sa population, en vertu de sa politique de censure. Il n’existe pas encore non plus de loi prévoyant la protection des données personnelles. J’ai donc dû payer un VPN – payer – pour avoir accès à l’Internet du monde libre. Et je peux vous dire que j’ai flippé lorsque j’ai découvert que j’avais une faille de sécurité parce que mon VPN (Virtual Private Network) était mal configuré et que la Chine pouvait à nouveau avoir accès à toutes mes données.

2 – La police est partout présente, les contrôles aussi.

A chaque entrée de métro, vous êtes contrôlés. La police est partout, au garde à vous, et elle ne rigole pas. Ben oui, en Chine aussi, il y a des attentats… vous avez entendu parler des communautés qui réclament leur autonomie, je suppose. Les attentats, ce sont eux. Ca justifie tous ces contrôles.

Et puis, les infos sur le terrorisme mondial tournent en boucle. Un otage chinois vient tout juste d’être exécuté par l’Etat Islamique. Désormais, la Chine est aussi un pays engagé dans cette fameuse « guerre contre le terrorisme », celle qui veut nous faire croire que répondre à la violence par la violence est notre meilleure option. Après tout, c’est bien connu : on a toujours mieux réglé les problèmes humains par quelques bombes. Si elles sont atomiques, c’est encore plus efficace d’ailleurs, non ?

Bref, en Chine, on a donc tout aussi peur qu’ailleurs qu’une bombe nous explose sur la gueule en pleine rue. Bien évidemment ça n’empêche personne de sortir. C’est juste rassurant, en théorie, de savoir que le gouvernement fait quelque chose.

3 – La liberté de mouvement, ce droit fondamental, est restreint (comme beaucoup d’autres en Chine).

Vous êtes étranger. Vous ne circulez pas librement dans le pays. C’est interdit. J’espère que vous avez toujours votre passeport sur vous et que vous ne serez pas offusqué qu’on vous le demande pour chaque achat de billet de train et d’avion, a minima. Depuis 2011, c’est comme ça. Pour ceux qui diront que c’est normal, qu’on ne circule pas comme on veut à l’étranger, qu’il faut respecte la politique locale, soit. Et je m’y plie. Réfléchissons simplement au fait que c’est le style de mesure que l’état d’urgence permet tout à fait de mettre en place en France, et que l’expérimenter, c’est autre chose que simplement le théoriser ou le voir chez les autres.

« Mais c’est pour nous protéger et c’est pas nous qu’on surveille, c’est les gens soupçonnés de mettre en danger la sécurité publique, ça ne nous concerne pas. On n’en arrivera pas là, c’est pas la même situation etc etc. »

Certes, mais non. On protège qui contre quoi déjà ? Évidemment, loin de moi l’idée de comparer Tian An Men avec l’état d’urgence en France en 2015. Je dis juste que j’ai peur, en acceptant sous des prétextes sécuritaires qu’on nous en prenne un tout petit peu, puis un tout petit peu plus, encore et encore, qu’un jour en nous réveillant, nous découvrions soudain que tout ce que nous avions prises pour des libertés acquises, d’expression, de circulation et de penser… nous sont désormais retirées.

Ce que j’ai décrit plus haut peuvent sembler des « concessions » minimes « nécessaires » pour « contrôler une population » (what.the.fuck.) : dois-je rappeler que la Chine est constamment pointée du doigt pour ses manquements au respect des droits de l’Homme par la communauté internationale ? On croit que ça ne peut pas nous arriver, mais il y a mille façons d’arriver à un État qui restreint les libertés.

Est-ce trop tot pour se prononcer ? Il vaut mieux prévenir que guérir. Si dans quelques mois on constate que je me serai affolée pour rien dans ce billet, tant mieux.

Nous ne devons pas céder du terrain à la sécurité si elle entame nos libertés. C’est insensé. Pour ma part, je préfère mourir jeune, libre et incomplète, que vivre et mettre au monde des enfants qui ne sauront pas ce que c’est de pouvoir sortir manifester – et pourtant, je n’ai pas beaucoup manifesté dans ma vie. Mais je veux que mes enfants aient le choix de descendre dans la rue ou pas. Je veux qu’ils puissent décider s’ils veulent aller se ridiculiser en scandant des slogans aux rimes débiles aux côtés de la CGT, ou s’ils préfèrent plutôt écrire des billets véhéments et cliquer sur « Publier » sans craindre d’être traqués par leur adresse IP parce qu’ils auront rédigé tout un tas de conneries, de celles qu’on peut écrire à 15 ans quand on en veut au monde entier. C’est ce monde de choix là que je veux pour moi et pour eux.

C’est celui que les terroristes veulent nous enlever et nous enlèveront peut-être, mais c’est celui que l’état policier nous enlèvera sans aucun doute si nous nous laissons faire.

Voici quelques articles que vous pouvez lire, si vous le souhaitez, sur l’état d’urgence :

Excellent article sur comment le « contournement » des Droits de l’Homme est permis par l’Etat d’urgence : http://www.numerama.com/magazine/31916-deroger-aux-droits-de-l-homme-voici-comment-ca-peut-etre-legal.html

Précisions en ce qui concerne les données en ligne : http://www.journaldugeek.com/2015/11/18/etat-durgence-lors-dune-perquisition-les-donnees-en-ligne-ne-seront-pas-epargnees/

Le manifeste de la Quadrature du Net (engagé) : https://www.laquadrature.net/fr/etat-urgence-etat-policier

Deux articles sur la circulation des terroristes en Europe et les contrôles aux frontières après les attentats :
http://www.lemonde.fr/attaques-a-paris/article/2015/11/21/comment-des-djihadistes-parviennent-a-circuler-librement-en-europe_4814742_4809495.html
http://www.lemonde.fr/europe/article/2015/11/21/sur-demande-de-paris-l-europe-va-modifier-les-regles-de-schengen_4814723_3214.html

  1. Titi

    Quand un gouvernement a peur, il limite les libertés de son peuple, et éventuellement celles des voisins (embargo, menaces en tout genre). Quand le peuple a peur il se limite lui même ses libertés.

    Alors forcement quand le peuple a peur de son propre gouvernement et réciproquement…

    Par définition le terrorisme utilise la peur pour arriver à ses fins, malheureusement ça marche plutôt bien.

    N’ayez plus peur les amis !

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