Travel blog en voie de disparition

Blogueur voyage : une espèce en voie de disparition

Classé dans : JOURNAL DE BORD, Travel blogging | 0

Alors que les blogueurs voyage commençaient tout juste à être une espèce un peu à part et à part entière, je m’apprêtais seulement à faire le grand saut qui m’obtiendrait d’être étiquetée « nomade digitale ». C’était quelque part en 2014. Des jeunes, la vingtaine et des brouettes, un ou deux bons diplômes en poche, avec des postes plus qu’acceptables, mais pour qui tout ça n’avait aucun sens, vendaient leurs affaires et partaient faire le tour du monde, à la recherche d’expériences différentes.

Comme par hasard (ou pas), c’était aussi l’émergence des médias sociaux. Nous avons alors assisté à une convergence puissante, stimulante et inspirante : celle d’un projet de vie et de moyens d’information et de communication ultra-accessibles. C’est ainsi que nous sommes devenus une vraie communauté digitale… grâce au Voyage, qui nous a rassemblés pour toujours.

Mais il n’existe plus de conseils voyage authentiques

Les années suivantes ont vu la blogosphère voyage se professionnaliser à outrance. C’était ça, la tendance digitale de l’époque : les blogueurs se sont mis à créer le contenu que les agences de voyage auraient dû être en train de produire. Vu que l’industrie du tourisme était encore complètement à la ramasse (et quelque part, c’est toujours le cas aujourd’hui : plus de 80% des entreprises du tourisme n’ont même pas de présence en ligne – source : Phocuswright 2016), l’Internet du Voyage était proche du vide intergalactique. Le Lonely Planet lui-même était extrêmement difficile à manœuvrer en ligne (cela dit, il ne s’est pas beaucoup amélioré). Mais de fait, les seules ressources efficaces, disponibles et faciles à manier étaient alors… des articles de blogs compilés ensemble !

L’élément le plus précieux pendant cette ère de la recommandation en ligne ? Les informations de première main. On adorait ça. Pourquoi ? Parce qu’au moment de l’explosion du tourisme de masse, certaines personnes nous expliquaient ENFIN comment voyager. Il était désormais possible d’avoir des infos sur un hôtel à Bombay, ou un trek au Machu Picchu sans même décoller de son canapé. Mieux : il était désormais possible de préparer son voyage AVEC le voyageur. Il suffisait de choisir son blogueur, celui ou celle qui vous ressemblait le plus, suivre ses traces, absorber les endroits qu’il visitait, les plats qu’il goûtait, l’air qu’il respirait. Evidemment, il fallait aussi réserver dans les mêmes endroits que lui… et à vous les mêmes expériences de rêve !

 

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Ainsi, les blogueurs voyages devinrent à la fois agences de voyage en ligne, ambassadeurs pour des marques et consultants pour l’industrie du tourisme. Ils cessèrent d’écrire pour leur famille et leurs amis : on les retrouvaient en chefs d’entreprise que les professionnels du tourisme s’arrachaient !

Pause.

Rappelons-nous un instant de l’époque où « l’influence » était encore un concept relativement sain, organique, et qui restait encore à définir : il était possible alors de voyager gratuitement en taguant simplement l’Office du tourisme Mexicain et en utilisant le hashtag #VisitMexico sur ses médias sociaux, qu’on animait de façon complètement intuitive. On voyageait vraiment, et on pouvait encore être honnête dans ses articles. Mais au cas où vous vous posiez la question, la capacité des gens à absorber les informations qui défilent sur Facebook n’est pas illimitée. Alors sur un marché aujourd’hui saturé, une seule conclusion s’impose : l’âge d’or du blog voyage, en tant que système de recommandations sincèrement et honnêtement partagées, est depuis longtemps révolu.

Le faux, c’est beau

Les blogs voyages ont bien changé… de façon troublante. Avant, je cherchais des conseils en ligne et des photos de la Chaussée des Géants ou du Grand Bouddha de Le Shan sur Google images. Aujourd’hui, je passe mon temps sur Instagram à me plier à la logique de son algorithme, ce qui finit par m’amener… exactement au même endroit que tout le monde. Si vous aimez voyager et que vous cherchez des infos sur les réseaux sociaux, vous savez exactement de quoi je parle. Vous savez aussi que la vaste majorité des influenceurs les plus suivis ne sont pas « que » des blogueurs. Vous savez bien, n’est-ce pas, qu’ils sont aussi photographes, vidéastes, créateurs de contenus, « visual storytellers » et que sais-je encore ?

 

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L’essor des médias sociaux visuels sur mobile – en occident, YouTube, Instagram et Snapchat – a complètement changé l’internet du voyage : d’une bibliothèque de guides en ligne, nous sommes passés à une galerie de comptes Instagram « aspirationnels ». Et voilà que nous ne jurons plus que par les histoires racontées par nos plus belles photos, et par les contenus partageables avec nos contacts Facebook… bienvenue aux seuls contenus qui rendent bien sur les réseaux sociaux. En scrollant dans les groupes de blogueurs voyage, il est facile de s’apercevoir que les compétences de base pour réussir dans le milieu sont désormais de savoir a minima monter un court digne du Festival de Sundance, poser comme un mannequin face à l’objectif et, évidemment, d’acheter et savoir faire voler un drone (au fait, la GoPro, c’est tellement dépassé. Jdcjdr).

 

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C’est beau, c’est inspirant… ça vend du rêve. Oui, ça vend, surtout. Si vous voulez devenir blogueur voyage aujourd’hui, bon courage pour trouver un partenariat qui vous permettra de filmer et écrire ce que vous voulez. Non seulement vous serez en concurrence avec des centaines de blogueurs professionnels et d’agences de voyage produisant leur propre contenu (oui, elles ont fini par s’y mettre), mais vous serez aussi assujettis à une communauté dont l’œil affuté ne se satisfait plus que de contenus ultra-lisses, beaux et « preset-és » (merciiiii Instagram). Vous ne vous en tirerez donc pas si facilement.

J’ai vu beaucoup de blogueurs voyages prendre du recul dernièrement. Certains D-nomads évoquent même un « burn-out du voyage »… Problèmes de riches ? Absolument. Mais ces réactions reflètent bien ce qu’on a fait à l’art du voyage : on l’a transformé en machine à cash. Et on commence seulement – à juste titre – à se poser des questions sur la légitimité et la réalité de cette industrie étrangement faite uniquement de voyageurs jeunes, cool et canons (lire ici l’intéressant positionnement d’une blogueuse voyage qui décide finalement de boycotter la chose).

En tout cas, tout ça m’a fait me demander : c’est de ça dont les blogueurs voyage de la 1ère génération rêvaient, lorsqu’ils ont pris la plume (enfin, le clavier) pour raconter leurs voyages ? Est-ce qu’on aide encore quelqu’un, ou qu’on inspire encore qui que ce soit en écrivant aujourd’hui ? Avant, le simple fait de partager des conseils sur un itinéraire au cœur des montagnes péruviennes suffisait à motiver les gens, à les pousser à faire ce trajet de 24h en bus, à sillonner les routes pour admirer de leurs propres yeux un lever de soleil sur les rives du Lac Titicaca. Et maintenant, on sauvegarde juste des photos dans nos collections Instagram pour se souvenir de l’endroit où l’on veut planifier notre prochaine séance photo…

 

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Voyageurs, où serions-nous aujourd’hui sans nos rencontres ?

Alors, que devrions-nous dire à ceux qui aspirent à commencer un blog de voyage ? Comment faire ? Peuvent-il encore y arriver, à vrai dire ? Les conseils voyage authentiques, morts et enterrés, furent fugacement remplacés par des photos à la « follow-me-to ». Mais si j’observe un instant ma propre communauté de voyageurs, j’ai envie de croire que le prochain pari des blogs voyages, c’est de se reconcentrer sur l’humain. Et je ne parle pas seulement de la quête intérieure du voyageur. On a aussi assez vu de profs de yoga éclairés qui trouvent le sens de la vérité dans un monastère en Inde (attendez une minute, ne s’appelait-elle pas Julia, et n’a t-elle pas joué dans un film intitulé « Mange, Prie, Aime » ?) Non, je parle d’histoires vraies. Des histoires qui racontent des liens réellement tissés entre voyageurs, des vrais obstacles surpassés (allez, il est temps de dire la vérité sur ce que c’est d’être un « backpacker » !), des histoires qui racontent de VRAIES vies.

Les odyssées auto-centrées ont fini par nous fatiguer. Alors c’est vrai, peut-être qu’on est un peu jaloux, finalement. Voilà qui n’est pas impossible. Mais quand bien même, c’est exactement la raison pour laquelle les choses peuvent et doivent changer… quand les frustrations et les désirs d’une communauté font bouger les lignes. Certains d’entre nous sont déjà en train d’imaginer des moyens de créer du contenu de façon collaborative et collective, au-delà du simple crowdsourcing de belles photos. Oui, il y a bien une tendance naissante au sein des communautés de voyageurs, qu’on pourrait surnommer « crowd-linking » peut-être ? L’art de recréer des liens. Serait-ce le retour de l’intention initiale des toutes premières communautés digitales de voyageurs telles que Couchsurfing (avant que celle-ci ne devienne une appli de rencontres, lol) : se rencontrer, s’amuser, partager des instants de vie, les documenter peut-être, mais se rencontrer et s’amuser d’abord. Nous voulons des visages, des mains, des cœurs. N’était-ce pas pour cela que nous avions commencé à voyager, au départ ?

Les gens veulent de vraies histoires, celles dont ils ont été lentement privés par l’égocentrique voyageur sexy. Revenons à quelque chose que nous aimons d’ailleurs tous, sans vouloir se l’avouer : le voyeurisme, mais honnête. Ça suffit, les énormes articles-guides et les photoshoots dans des hôtels de luxe… Ce qu’on veut, c’est lire des histoires de rencontres qui ont du sens, de discussions qui ont changé votre vie. Nous voulons des vrais gens, des vrais sourires. A l’âge de la 5G, le pouvoir des créateurs de contenu, c’est peut-être tout simplement de savoir comment bien se servir de leurs applis en live. Nous voulons de la vie-réalité. L’âge des stories sur-éditées est peut-être déjà derrière nous. Montrez-nous vos expériences en temps réel, et complétez-les avec un bon vieux récit de voyage sur Medium, et comme ça, on saura ce que vous avez vraiment appris de vos rencontres et comment vous vous êtes vraiment sentis, à part « émerveillés par ce magnifique coucher de soleil. #amazing ». Peut-être vous sentirez-vous un peu bête au début, mais si vous voulez vraiment parler aux gens, parlez-leur honnêtement.

Cher blogueur voyage en devenir,

J’aimerais donc que tu me parles de ce sourire échangé avec un étranger, qui s’est transformé en déjeuner deux jours plus tard, en excursion d’une journée dans un temple caché dans les montagnes la semaine suivante, et qui t’a finalement fait voyager jusqu’en Inde l’année suivante pour assister au mariage de ce même ami que tu t’es fait il y a exactement 400 jours, complètement par hasard à la gare de Kuala Lumpur. Prouve au monde que tout ça n’est pas un film. Montre-lui que c’est ça qui arrive, quand tu commences à voyager. Parle du voyage, pas de la destination. Raconte de vraies aventures, où le voyage n’est pas celui de quelqu’un qui cherche à ouvrir une fenêtre sur son propre monde, mais d’une personne en chair et en os qui s’ouvre à un millier d’autres êtres humains.

Parle-moi des gens. Ce sont eux qui donnent du sens à nos vagabondages, et eux seuls. Ceux sont eux qui nous rendent meilleurs. Ce ne sont ni les paysages, ni les transports, et encore moins nos photos Instagram (mais peut-être les gens qui sont derrière tes photos Instagram, eux, sont-ils intéressants ? Parle-moi de ces gens-là, à l’occasion !) Parle-moi de comment lors d’une journée aux chutes d’Iguazu, les plus grandes chutes d’eau du monde, tu as reçu une véritable leçon de courage et appris la force qu’on peut déployer pour sauver sa propre vie, à travers ta rencontre avec cette Polonaise qui t’a ouvert les yeux (en fait, j’aimerais vous raconter cette histoire moi-même, mais ce sera pour une prochaine fois peut-être, quand vous aurez plus de temps).

Ce que j’aimerais te dire, cher blogueur voyage, c’est de prendre une profonde inspiration et te rendre compte qu’écrire sur le voyage, ce n’est pas vraiment expliquer comment faire son sac de la façon la plus « smart » possible, et pas du tout pousser les gens à rêver d’impossibles vies. Ecrire sur le voyage, c’est se rendre capable de créer du lien avec n’importe quel être humain croisant ta route, d’écouter son histoire, puis la partager avec d’autres en leur montrant comment elle t’a aidé à écrire la tienne.

Revenons-en aux racines du récit de voyage : créons de l’inspiration, pas de l’envie. Nous n’avons jamais eu autant qu’aujourd’hui le pouvoir de changer le monde à travers nos aventures.

 

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Une publication partagée par Rahmawati Nasir (@rahmanasir) le

Cet article a été originalement écrit en anglais et publié sur le blog de RE-UP : The Disappearance of the Travel Blogger

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